L'étranger
de Camus


Si " L'Etranger " n'est pas la première oeuvre publiée, elle est néanmoins la première oeuvre connue du grand public. Quatre mois à peine séparent la rédaction de l'Etranger du Mythe de Sisyphe : les questions que soulève l'ouvrage de philosophie agitaient donc vraisemblablement l'auteur lors de la rédaction du roman .

Entretien : Marc Gooris (adaptateur, metteur en scène et comédien) : Si on s'arrête à l'histoire - à l'anecdote - on pourrait résumer le roman de cette façon : le jeune Meursault est un petit employé de bureau algérois, pauvre et solitaire. Au début du roman, il apprend le décès de sa mère à l'asile de vieillards. Au retour de l'enterrement, il retrouve ses habitudes et ses voisins, Céleste, Masson, le vieux Salamano, enfin Marie Cardona, une dactylo qui a travaillé avec lui autrefois. Une idylle se noue entre les deux jeunes gens. Marie devient la maîtresse de Meursault. Un peu plus tard, Meursault fait la connaissance d'un certain Raymond Sintès qui devient son copain et l'emmène à la plage. Querelles avec des Arabes; bagarre. Raymond prête son revolver à Meursault qui tue l'arabe . Après son arrestation, Meursault va passer une année en prison en attendant son procès. Parce qu'il a fait preuve d'indifférence à l'enterrement de sa mère, qu'il est allé voir un film comique avec une femme le lendemain, qu'il ne regrette pas vraiment son crime et qu'il ne croit pas en Dieu, Meursault est condamné à la peine de mort .

L'apparente indifférence de Meursault va alors se transformer au cours de son Procès en une révolte presque métaphysique qui éclate juste avant son exécution .
-Vous avez voulu mettre en exergue, seul en scène, le personnage de Meursault ?
Marc Gooris : Le roman de Camus est écrit à la première personne . J'ai opté pour la forme du monologue pour deux raisons : premièrement, les événements, les différents personnages et leurs paroles sont chaque fois rapportés par le héros lui-même. Ensuite, nous croyons qu'en ne rapportant les événements que par le point de vue de Meursault, nous restons plus proches de l'oeuvre originale tant au niveau du texte qu'au niveau de sa signification .
-Vous situez l'action à Alger sur une plage proche de cette ville ainsi que dans la cellule de Meursault ?
Marc Gooris : Effectivement. L'action du roman se passe presque entièrement à Alger et sur une plage. Et également dans la cellule de Meursault, qui est aussi l'espace de sa mémoire. Il peut donc recréer les lieux des différents événements de sa vie.
Dans sa cellule, un homme, seul, attend son exécution. A l'aube , il sera décapité. En cette nuit ultime, il se remémore sa vie. Il revoit sa mère, l'enterrement de celle-ci, Marie qu'il a aimée, ses amis. Il revoit aussi l'enchaînement des circonstances qui l'ont amené à tuer un homme, par hasard. Mais comprendra-t-il qu'il est condamné, non pour son crime mais parce qu'il pense différemment de la société qui le juge? Ses bourreaux ont décrété qu'il était étranger. Cela mérite-t-il la mort ? Et lui, du fond de sa cellule, quel regard porte-t-il sur cette société et ses valeurs ? Se révolte-t-il ? Quel est son dernier cri? Pouvons-nous l'entendre ?

Voilà certes un sujet intéressant qui est toujours d'une actualité brûlante, magnifiquement défendu par Marc Gooris, à la présence scénique d'une grande force. Un être mystérieux, secret, vibrant, entrant avec dextérité dans la peau de son personnage. Et puis , il y a Albert Camus, romancier - poète qui fut à nul autre pareil un homme des sens .


Roger Simons, & CINEMANIACS.BE- Octobre 2003

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