... " Le frère de Lee Anderson a été
lynché. Personne n'a été inquiété.
Mais Anderson, 1 m 80 de muscles entraînés,
beau blond aux yeux bleus, chéri de ces dames, médite
une vengeance méthodique. Petites provinciales, méfiez-vous,
le diable n'est pas toujours noir, il est parfois nègre..."
Ce roman sulfureux est un cri de haine lancé contre
une société qui a ravalé des êtres
au rang d'animaux, une dénonciation du racisme, du
conformisme et du prêt-à-penser, un coup de
poing dans la littérature française, et ...
une énorme supercherie signée avec talent.
Personnalité délirante, tardivement portée
aux yeux du grand public, l'auteur de L'Herbe rouge,
L'Arrache-coeur, L'Ecume des jours est un
grand esprit acéré, une plume refusant toute
trace de réalisme au profit d'un déluge de
mots placés sous le signe de la révolte et
de la liberté.
www.cinemaniacs.be
Spectacle, théâtre, Opéra...
- Rubrique Animée par Roger Simons -
J'irai cracher sur vos tombes
Un roman sulfureux de Boris Vian qui a fait scandale lors
de sa parution en 1947, adapté aujourdhui pour
la scène par Marc Gooris qui en propose la vision
au « Théâtre Littéraire de la
Clarencière » , magnifique petit théâtre
en sous-sol du numéro 20 de la rue du Belvédère
à Ixelles (derrière la place Flagey) dirigé
et animé par Fabienne Govaerts.
Marc Gooris : Lorsquil a été question
entre le Théâtre de la Clarencière,
le Grenier Théâtre de Verdun et la Compagnie
de la Grande Ourse dimaginer un spectacle autour de
Boris Vian, je me suis trouvé face à un problème
de taille : la quantité doeuvres de lécrivain
et sa diversité.
Après avoir beaucoup tourné autour, lidée
de « Jirai cracher sur vos tombes » sest
imposée.
La trame de lhistoire a une logique implacable et
son développement bénéficie dune
construction dramaturgique sans faille.
"J'irai cracher sur vos tombes" , un cri de haine
, une dénonciation du racisme, du conformisme et
du prêt-à-penser , un coup de poing dans la
littératrure française. Une pièce âpre,
violente, furieuse mise en scène par Marc Gooris
qui interprète le rôle de Lee Anderson.
Fabienne Govaerts : Vous savez, tenter de cerner loeuvre
de Boris Vian, et plus particulièrement ce roman
qui fut interdit en 1950 et pour lequel Boris Vian fut condamné
à 100 000 francs damendes pour outrages aux
murs par la voie du livre, est une entreprise qui
tient de la gageure. Je trouve que Marc Gooris a parfaitement
réussi son adaptation.
Je partage totalement le propos de Fabienne Govaerts. Ce
travail dadaptation est dune belle facture.
Lee Anderson arrive dans une petite ville des Etats-Unis
pour y travailler comme libraire. Cest un emploi quil
a obtenu par un ami de son frère Torn, et cest
tout à fait par hasard quil débarque
à Buckton.
Par petites touches, nous allons apprendre que ce Lee Anderson
a une particularité : il est de race noire, même
si sa peau est aussi blanche quelle peut lêtre.
Le jeune frère de Lee a osé briser un tabou
: il a fréquenté une jeune fille blanche,
crime impardonnable dans une petite ville du sud à
la fin des années 40. La sanction populaire, cest-à-dire
blanche, ne sest pas fait attendre : le jeune homme
a été assassiné par le frère
et le père de la jeune fille . Et Lee Anderson a
juré de se venger
"... Mon frère, en sa qualité d'instituteur
à l'école noire, avait protesté publiquement
et il s'était fait rouer de coups de lendemain. Il
mattendait dans la maison, seul dans la pièce.
Son large dos tout courbé et sa tête dans ses
mains me firent mal, je sentais le sang de la colère,
mon bon sang noir, déferler dans mes veines et chanter
à mes oreilles. Il se leva et me prit par les épaules.
Sa bouche était tuméfiée et il parlait
avec peine. Comme jallais lui taper sur le dos pour
tâcher de le consoler, il arrêta mon geste "...
Cette histoire se présente comme un polar des années
40/50 .Un suspense jusquau bout de la pièce,
véritable tragédie.
Marc Gooris : Jai tâché, pour ladaptation,
de respecter scrupuleusement la suite des évènements,
en respectant aussi les dialogues du roman, en enlevant
les descriptions inutiles à limage théâtrale,
et en concentrant laction entre les trois protagonistes
principaux : Lee Anderson ( le chasseur), Lou et Jean Asquith
(le gibier). Les autres personnages et les ambiances sont
évoquées via une voix off et une bande son.
"... Elle mécoutait comme
un prédicateur et j'en rajoutais; je lui dis que
je pensais que ses parents n'accepteraient pas notre mariage
car elle navait pas vingt ans. Elle répondit
que ses parents m'aimeraient sûrement et me trouveraient
du travail plus intéressant à Haïti ou
dans une de leurs plantations. Je reprendrais, pour l'instant,
mon travail, et elle viendrait me voir dans la semaine;
puis, on s'arrangerait pour filer dans le sud et passer
quelques jours dans un endroit quelconque où personne
ne nous gênerait, on reviendrait mariés et
le tour serait joué "...
Je vous conseille vivement de vous rendre à La Clarencière
pour y découvrir cette uvre quelque peu étrange,
« monstrueuse » et passionnante à la
fois.
Marc Gooris a donc repris, mot à mot, le texte de
Boris Vian Les quelques coupures auxquelles il a procédé,
donnent plus de vie à lhistoire vécue
par Lee et les deux jeunes femmes , Lou et Jean.
Il y a des scènes à la limite du supportable
dans la pièce, dune violence intense; dautres
qui touchent à la sexualité brutale , mais
Marc Gooris a gommé tout ce qui aurait pu paraître
vulgaire.
Il a aussi tiré le maximum des possibilités
scénographiques dans cet espace limité de
la scène du théâtre.
Il a reconstitué avec talent le climat des années
40/50 tel quon pouvait le percevoir dans les années
40/50, que ce soit dans le cinéma français
ou américain.
Il a remarquablement établi le personnage de Lee
tel que Boris Vian lavait conçu et calqué
physiquement la silhouette dHumphrey Bogart.
Il a choisi des musiques de jazz (entre autres Miles Davis
et sa fabuleuse trompette) qui relient les différentes
séquences.
Marc Gooris : Boris Vian adorait le jazz Il en jouait du
reste dans les caves de Saint-Germain-des-prés. Il
était un trompettiste confirmé dans lorchestre
Abadie-Vian ave lequel il a fait plusieurs tournées.
Il fréquentait de près tout ce que Paris comptait
comme musiciens de jazz et tous ceux qui débarquaient
des USA : Duke Ellington, Charlie Parker et Miles Davis.
Vous avez reconnu dans la bande sonore du spectacle des
extraits de sa musique pour le film de Louis Malle «
Ascenseur pour léchafaud».
Une heure trente de vrai théâtre solide, captivant
qui traite dun thème qui reste toujours dactualité.
Marc Gooris joue avec authenticité et le visage de
la haine cette énorme supercherie.
Audrey Lebastard et Joanna Bertrand, deux jeunes comédiennes
qui nous viennent de Verdun, interprètent avec vérité
et justesse les deux jeunes filles à léveil
de leur sexualité et de leur désir dhomme.
Il ny a rien de choquant, ni de pornographique dans
ce spectacle présenté jusquau 31 mars
au public de vingt heures trente, mais aussi à de
nombreux groupes scolaires au-dessus de 14 ans.
Ce spectacle donne lenvie de mieux découvrir
ce grand écrivain français que fut Boris Vian,
né en 1920 et décédé en 1959.
Il avait 39 ans et avait vécu plusieurs vies dans
la moitié dune seule.
Les presque quarante années que Boris Vian a vécu
peuvent être un fil conducteur pour étudier
lhistoire, ou une certaine histoire de lévolution
européenne au 20ème siècle, qui se
serait incarnée dans une certaine jeunesse parisienne
de laprès-guerre.
(Extraits de la pièce de Boris Vian « Jirai
cracher sur vos tombes » ainsi que de propos publiés
dans le dossier pédagogique rédigé
par le Théâtre de la Clarencière)
Roger Simons,
Un spectacle dont nous ne parlons pas ?
N'hésitez pas à nous écrire
theatre@cinemaniacs.be
Le Progrès - Lyon
Ain, lundi 28 août 2006, p. 4
Festival de théâtre : du Boris Vian parfaitement retransmis
G.D.
Marc Gooris brûlant et provocateur dans « J'irai cracher sur vos tombes »
La vengeance est un plat qui se mange froid, mais ce thème au coeur de la pièce de Boris Vian, magistralement interprétée par Marc Gooris, a donné lieu à des situations «chaudes». Âmes sensibles et pudibondes s'abstenir.
Dénonciation du racisme et de l'intolérance
Récit d'une vengeance, dénonciation du racisme et de l'intolérance, ce pastiche de roman noir fut publié en 1946 sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, un prétendu auteur américain. Ce best-seller fut jugé à l'époque immoral et pornographique, ce qui amena son interdiction en 1949 et la condamnation de son auteur pour outrage aux bonnes moeurs. Dans son adaptation, Marc Gooris n'a pas voulu édulcorer le propos, très proche de la volonté de son auteur. Où se trouve la violence, chez ceux qui ont cruellement tué son frère, sous le seul prétexte qu'il était noir, ou chez Lee Anderson le héros de cette macabre histoire ? Il veut rien de moins que venger le « gamin » oeil pour oeil et dent pour dent en faisant rendre l'âme à deux petites de bourgeoises, illustration de ce racisme de la vie ordinaire. Pour cela il va devoir les séduire, les rendre amoureuses pour que, tels des fruits trop mûrs, elles tombent dans ses griffes.
Le pornographe du phonographe
Sur des airs de jazz, chers au célèbre trompettiste qui hantait juste après guerre les caves de Saint-Germain des Pré, la toile d'araignée se tisse implacablement, chronique de cette descente aux enfers annoncée.
Marc Gooris se lance éperdument dans des scènes torrides, très réalistes, avec ses complices de scène Joanna Bertrand et Audrey Lebastard, qu'il parviendra à conquérir. Affûté comme un rasoir, le comédien dans un décor clair-obscur, cultive l'ambiguïté, et se révèle excellent dans cette partition, s'enivrant à souhait de jazz, d'alcool, de verbe et de vices. Tel un chat, il va torturer ses souris avant de les achever dans des scènes cruelles, presque barbares. Poignant, on prend le tout comme un coup tellement c'est fort. On se sent mal à l'aise devant une cette violence, celle du racisme et de l'intolérance se trouvant rangées dans le même sac que celle de cette vengeance froide et méthodique. Au terme de cette dérive, de ce déluge de mots, Lee sera arrêté, gravement blessé, et pour faire bonne mesure, pendu dans la foulée pour ses méfaits. On s'en sort, un rien groggy, par une pirouette ironique et musicale What a wonderful world
G.D.
© 2006 Le Progrès - Lyon. Tous droits réservés.
Scolaires :
10h00 - 14h00 - 20h30
P.A.F. : 5 €
Tout public :
Les vendredi 24, samedi 25 mars 2006
vendredi 31 et samedi 1er avril 2006 à 20h30
P.A.F. : 12 € - étudiant : 8 €- Article
27 : 1,25 €